Préjudice professionnel temporaire

4 mai 2021



La nomenclature Dintilhac décrit uniquement les pertes de gains professionnels actuels (PGPA). Toutefois la jurisprudence tend à reconnaitre d’autres dommages professionnels temporaires (pénibilité, perte de chance …).

En pratique, au stade de l’expertise, l’impact sur la vie professionnelle avant consolidation doit faire l’objet d’une description globale dans un chapitre unique.

Bannière.png

I. Définition

❖        Rapport Dintilhac

 « Le groupe de travail propose (…) de cantonner les pertes de gains liées à l’incapacité provisoire de travail à la réparation exclusive du préjudice patrimonial temporaire subi par la victime du fait de l’accident, c’est-à-dire « aux pertes actuelles de revenus éprouvées par cette victime du fait de son dommage. Il s’agit là de compenser une invalidité temporaire spécifique qui concerne uniquement les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à sa consolidation.

 

Bien sûr, ces pertes de gains peuvent être totales, c’est-à-dire priver la victime de la totalité des revenus qu’elle aurait normalement perçus pendant la maladie traumatique en l’absence de survenance du dommage, ou être partielles, c’est-à-dire la priver d’une partie de ses revenus sur cette période.

L’évaluation judiciaire ou amiable de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par la victime jusqu’au jour de sa consolidation. »

         Jurisprudence

La jurisprudence tend parfois à élargir le champ du préjudice professionnel avant consolidation, en reconnaissant notamment des pertes de chance pour les personnes sans emploi, une pénibilité accrue lors de la reprise du travail avant consolidation.

 

Aide professionnelle

 -          Cass., civ., 1ère, 22 mai 2019, n°18-14.063, Publié au Bulletin : le besoin d’aide professionnelle constitue un préjudice, y compris en cas d’aide bénévole par l’époux.

 -          Cass., civ., 2ème, 25 juin 2020, n°19-18.263 : la perte de revenus liée à l'embauche d'un mécanicien pour remplacer la victime doit être pris en charge au titre de la perte de gains professionnels actuels et les charges doivent être ajoutées.

 

Décalage dans le temps des conséquences d’un arrêt de travail

 -          Cass., civ., 2ème, 13 juin 2019, n°18-15.671, publié au bulletin : prise en compte d’une perte de gains d’un médecin (de 6 mois) liée à une impossibilité de valider un stage, entrainant un décalage du début de l’activité professionnelle.

 

Aménagement temporaire

 -          Cass., crim., 12 juillet 2016, n°15-84.477 : la reprise à temps partiel, en raison de l’état de santé consécutif à l’accident, entraine nécessairement une diminution du revenu.

 -          TGI Paris, 19e ch. civ., 16 mars 2012, n°10/16383 / TGI Paris, 19e ch. civ., 7 février 2014, n°13/04020 : prise en compte d’une perte de pourboire pour un serveur, employé de restauration, qui ne peut plus assurer une activité en salle.

 

Incidence professionnelle temporaire

 -          Cass., Civ., 2ème, 17 juin 2010, n°09-15.895 : cet arrêt mentionnait l’indemnisation de l’incidence professionnelle temporaire.

 -          TGI Paris, 19e ch. civ., 25 septembre 2015, n°14/08867 : « aucune considération ne justifie que soit exclue la période avant la consolidation dès lors qu’en l’espèce il est établi que Mme O. a recommencé à travailler très rapidement après son accident mais que cette reprise a été difficile en raison notamment de ses difficultés à se servir de ses bras blessés ».

 -          TGI Paris, 19e ch. civ., 17 novembre 2015, n°14-18365 / TGI Le Mans, 1ère ch., 1er décembre 2015, n°14-02933 : les juges du fond ont admis l’indemnisation d’une incidence professionnelle avant consolidation en cas de pénibilité accrue temporaire.

 -         Cass., civ., 2ème, 16 janvier 2020, n°18-23.556 [1] : « les douleurs et la gêne éprouvées par la victime dans le cadre professionnel avant la consolidation relèvent des souffrances endurées».

 

Cas des personnes sans emploi 

 -          Cass., crim., 24 novembre 2015, n°15-80.010 : la victime a subi une perte de gains, même si elle n’exerçait pas d’activité professionnelle au jour du fait dommageable, car elle bénéficiait d’une procédure de reclassement professionnel en cours de lors de l’accident.

 -          Cass., civ., 2ème, 2 mars 2017, n°16-12.582 : PGPA pour un chômeur qui devait effectuer une période d’essai en vue d’un CDI.

 -          Cass., civ.,1ère, 20 décembre 2017, n°17-10.909 : la seule aggravation douloureuse sur un état pathologique préexistant peut contribuer à l’impossibilité de retrouver un emploi.

-          Cass., crim., 28 mai 2019, n°18-82.877 : lorsque que la victime n’exerçait pas d’activité professionnelle au moment de l’accident, il convient d’indemniser une perte de chance d’exercer une activité professionnelle dès lors que l’inaptitude professionnelle ne préexistait pas à l’accident.


[1] Décision contraire à de nombreuses jurisprudences du fond et contestée par la doctrine : si elle reconnait une IP temporaire, elle place son indemnisation dans un poste personnel. La pénibilité professionnelle doit de toute façon être décrite par l’expert.

 

II. Contenu

Il conviendra d’examiner le retentissement professionnel, avant consolidation, dans toutes ses dimensions :

-          La perte d’emploi

-          L’inaptitude

-          Le reclassement professionnel

-          Les restrictions professionnelles

-          La modification de l’activité professionnelle

-          La perte de promotion

-          La perte de capacité de gains professionnels

-          L’incapacité de trouver ou de retrouver un emploi

-          La dévalorisation sur le marché de l’emploi

-          L’accroissement de la pénibilité dans l’exercice de l’activité professionnelle

-          Le sentiment de dévalorisation

 

  • Périodes d’incapacité de travail temporaire ou totale

 L’expert devra indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, avant consolidation, dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle.

Ces périodes doivent être fixées également pour les personnes qui étaient sans emploi au moment du fait générateur, même si aucun arrêt de travail n’a été délivré.

 En cas d’incapacité partielle, il devra préciser le taux et la durée.

L’expert précisera aussi la durée des arrêts de travail retenus par l’organisme social au vu des justificatifs produits et dira si ces arrêts de travail sont liés aux faits.

  • Répercussions professionnelles avant consolidation

La nomenclature n’envisage pas le cas d’une reprise de l’activité professionnelle avant la consolidation. Pourtant, les atteintes traumatiques précédant la consolidation peuvent affecter la vie professionnelle au-delà de la seule incapacité de travail.

En particulier lors de la reprise professionnelle, une pénibilité supplémentaire peut être constatée, ainsi qu’un déclassement ou une dévalorisation au sein du milieu professionnel, des aménagements peuvent être nécessaires.

Il appartient au médecin de décrire précisément les dommages professionnels induits, notamment par l’absence de la victime (perte d’emploi, changement de poste, fermeture de structure, impossibilité de maintenir une activité commerciale, artisanale ou libérale etc).

Même si les régleurs décident de réintégrer ces éléments à d’autres postes, dès lors qu’ils relèvent de la sphère professionnelle, ils devront être décrits dans ce chapitre.

III. Mission d’expertise

 Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, avant consolidation, dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ;

 En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

Préciser la durée des arrêts de travail retenus par l’organisme social au vu des justificatifs produits et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait générateur ;

Si la victime a repris le travail avant consolidation préciser, notamment, si des aménagements ont été nécessaires, s’il a existé une pénibilité accrue ou toute modification liée à l’emploi. Cadre spécifiquement codé pour la mission d’expertise qui apparaitra en bleu sur internet, ne pas l’utiliser pour autre chose.

Bannière.png

IV. Méthode d’évaluation


Les médecins chargés de l’expertise devront apprécier la capacité de la victime à exercer l’activité professionnelle même si aucun arrêt de travail n’a été délivré.

Cette capacité devra être appréciée en fonction de l’activité professionnelle exercée et de ses contraintes, de la qualification, de l’expérience ou du cursus de la victime si cette dernière se trouvait sans emploi au moment de l’accident.

L’expert devra décrire précisément l’activité professionnelle exercée et les contraintes de cette dernière ne permettant pas à la victime de pouvoir la reprendre temporairement.

En cas de reprise de l’activité professionnelle avant consolidation, l’expert devra préciser si cette reprise a dû être effectuée dans des conditions de pénibilité accrue (majoration des efforts) au regard de l’activité antérieure à l’accident.

Si d’autres éléments professionnels, non médicaux, sont invoqués par la victime, l’expert devra en prendre note et renvoyer leur appréciation aux régleurs.

Si une aide professionnelle a été nécessaire, elle devra être décrite (aide technique ou aide humaine).

L’ANADOC considère que l’approche du préjudice professionnel doit être la même d’un point de vue expertal avant et après consolidation.

L’évaluation du préjudice professionnel devra s’effectuer en deux étapes : la description de l’environnement et des perspectives professionnelles pré-accidentels, puis l’analyse du retentissement professionnel consécutif à l’accident.

 1. Description de l’environnement et des perspectives professionnelles pré-accidentels

 · Préalablement à la réunion d’expertise

 Le conseil de la victime s’attachera à rendre compte de l’environnement professionnel dans lequel évoluait la victime avant l’accident, ou les perspectives professionnelles qui étaient les siennes même si elle ne travaillait pas au moment de l’accident.

Si une fiche de poste existe elle devra être produite.

Les évaluations professionnelles pré et post accident et les documents de formation devront également être recueillis.

Par ailleurs, la victime et son conseil pourront établir une fiche de « journée professionnelle type » décrivant le plus précisément possible les différentes étapes de la journée de travail de la victime avant l’accident.

Exemple : Madame X, secrétaire de mairie

- Transport : trajet de 200m à pied pour rejoindre la bouche de métro, escaliers à descendre pour accéder au métro, escaliers à monter et à descendre pour changer de métro, escaliers à monter pour sortir du métro, trajet de 100m à pied pour rejoindre la mairie, marches à monter pour entrer.

- Position sur le poste de travail : position assise, travail sur poste informatique, nécessité de se lever à de nombreuses reprises pour accéder à des documents, pour accueillir le public.
Port de charges de plusieurs kilos (dossiers papier), nécessité de se baisser et de se redresser pour le port des documents.

 La même méthode devra être utilisée pour les conditions d’exercice professionnel post-accident surtout lorsque l’activité a été modifiée ou abandonnée. Seront éventuellement fournies la nouvelle fiche de poste, les évaluations de la médecine du travail et de la MDPH (RQTH).

  • Au cours de la réunion d’expertise

 Il appartient aux médecins de rechercher si le dommage a entraîné pour la victime des conséquences spécifiques dans la sphère professionnelle.

Certaines préconisations de l’AREDOC peuvent être acceptées dans leurs principes :

« Pour répondre précisément à la question posée, le médecin devra se reporter au point 3 de la mission qui lui demande notamment de fournir le maximum de renseignements sur le mode de vie de la victime, ses conditions d’activités professionnelles, son statut exact…

En effet, la profession exercée au moment de l’accident fait partie des éléments indispensables au dossier : le médecin demandera à la victime des précisions sur son activité professionnelle afin de mieux en cerner les contours (conditions de travail, sédentaire ou non par exemple). Il conviendra d’éviter l’usage de termes génériques très flous (fonctionnaire, salarié) qui ne rendent pas compte de l’activité réellement exercée et de bien préciser la nature du poste occupé et le mode d’exercice de l’activité (salarié, profession libérale, commerçant, artisan…).

Pour mieux connaître les conditions d’exercice de l’activité d’un salarié, le médecin peut aussi se faire communiquer par lui sa fiche de poste.

Concernant le demandeur d’emploi, le médecin s’attachera, dans la mesure du possible, à recueillir quelle était la qualification précise et la nature du poste recherché par la victime au moment de l’accident.»[1]

 

2. Retentissement professionnel consécutif à l’accident

Le médecin devra se poser essentiellement la question de savoir si un retentissement professionnel temporaire a existé et quelle est sa nature. 

Les questions essentielles sont les suivantes :

- la situation vis à vis de l’emploi, préalable à l’accident, s’est-elle modifiée ? Si oui comment ?

 - des aptitudes ou des compétences, (des qualifications ou autorisations) ont-elles été perdues ? (ex : perte des permis, un diplôme à revalider, etc...)

 - des chances ont-elles été perdues en termes de carrière ou d’opportunités professionnelles ?

 - l’accès sur le lieu de travail et l’exercice professionnel ont-ils exigé un effort ou des difficultés supplémentaires ? Ont-ils généré des arrêts de travail réguliers et répétés ?

 - des frais de reclassement, de formation ou d’adaptation du poste ont-ils été nécessaires ?  

Il est conseillé de se reporter à la fiche « préjudice professionnel définitif » qui comporte un tableau détaillé sur les composantes du retentissement professionnel. En cas de besoin, ce tableau pourra être utilisé pour la période temporaire. Un effort de description détaillée est d’autant plus nécessaire lorsque la période précédant la consolidation est très longue.

 · Précision

Des atteintes spécifiques ont pu entraîner une inaptitude sur le plan légal ou réglementaire à certaines professions, essentiellement pour des motifs de sécurité. Ce sont, par exemple, certains déficits visuels ou une comitialité. L’expert ne peut qu’entériner ces inaptitudes légales ou réglementaires.

Si une victime présentait avant le fait générateur une capacité professionnelle déjà réduite, des séquelles modérées voire minimes ont pu entrainer une incapacité professionnelle totale. 


[1] AREDOC Mission d’expertise médicale 2009 mise à jour 2014, commentaire du point 13.


 

Les autres documents ANADOC sur le préjudice professionnel temporaire