Souffrances endurées

22 mai 2020



Il s’agit de réparer l’ensemble des souffrances physiques, psychiques et morales subies par la victime avant la consolidation.

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I. Définition

❖        Rapport Dintilhac

 « Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. En effet, à compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre. »

❖        JURISPRUDENCE

  • CE, 24 nov. 2004, n° 247080 ; Cass. 2ème civ, 22 fév. 1995 n°92-18.731, Publié au bulletin : l'état végétatif de la victime n'exclut aucun chef d'indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments.

  • Cass. 2ème civ., 09 déc. 2004, n°03-15.962 : le « prix de la douleur répare non seulement les souffrances physiques mais aussi les souffrances morales ».

  • Cass. crim., 23 oct. 2012 n°11-83.770 : Cass. crim. 29 avril 2014, n°13-80.693 : pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation le préjudice d’angoisse est un poste de préjudice autonome.

    La jurisprudence semble cependant pencher actuellement pour l’inclusion dans le poste des souffrances endurées de certains préjudices, notamment le préjudice d’angoisse de mort imminente, le préjudice d’angoisse spécifique en matière d’attentat, le préjudice moral résultant de la nature du fait traumatique (agression, acte de barbarie…) ou encore le préjudice d’avilissement.


  • Cass. 2ème civ., 11 sept. 2014, n°13-24.344 : « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé séparément ».

  • Cass. 2ème civ., 29 juin 2017, n° 16-17.228 : pour la 2ème chambre civile de la Cour de cassation le préjudice d’angoisse est inclus dans les Souffrances Endurées : « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l'arrêt de préjudice d'angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément ».

  • Cass. 1ère civ., 26 sept. 2019, n° 18-20.924. : pour la 1ère chambre civile de la Cour de cassation: « l’angoisse d’une mort imminente éprouvée par la victime ne peut justifier une indemnisation distincte (des souffrances endurées) qu’à la condition d’avoir été exclue de ce poste ».

  • Cass. 2ème civ, 13 déc. 2018, F-P+B+I, n° 18-10.276, Cass, 2ème civ., 13 déc. 2018, F-P+B+I, n° 17-28.716 ; Cass, 2ème civ., 16 janvier 2020, n°19-10.162 : absence d’autonomie du préjudice d’avilissement.

  • Cass. 1ère civ., 5 juin 2019, n° 18-16.236 : Pathologie à risque (distilbène…) : le préjudice d’anxiété est un préjudice autonome, distinct des souffrances liées à l’impossibilité de procréer.


On retiendra la distinction entre les souffrances physiques et psychiques qui relèvent du constat et de l’évaluation médicale et les souffrances morales qui devront être évoquées lors de l’expertise - sans pour autant intégrer une cotation.

II. Contenu

La cotation se basera sur les éléments objectifs de la souffrance endurée. Au delà, les experts décriront de manière la plus exhaustive possible le contexte personnel et factuel dans lequel s’est produit le fait traumatique.

Si la jurisprudence inclut actuellement le préjudice d’angoisse dans ce poste de préjudice il faut souligner qu’il a été considéré comme un préjudice situationnel c’est à dire non médical par la commission Porchy-Simon.

1. Douleurs physiques

  • Traumatisme d’origine et circonstances (durée de désincarcération ; brutalité de l’agression...)

  • Gravité et nature des blessures

  • Evolution/complication

  • Durée, nombre d’hospitalisations et types d’hospitalisations : réanimation, techniquée (PIC, DVE, gastrostomie, dialyse…), sédatée, ventilée, puis déssédatée, tentatives de sevrage de ventilation… reprise de conscience… contention/agitation au réveil d’une sédation, hallucinations, comitialité…

  • Nombre d’opérations (sous AG ou Anesthésie locale) et suites opératoires immédiates : appareillage orthopédique, digestif...

  • Intensité et importance de la contrainte des soins

  • Caractère douloureux des soins et des examens complémentaires (EMG, PL…)

  • Traitements

  • Nature de la rééducation

  • Durée des immobilisations

  • Accessibilité aux antalgiques et tolérance aux antalgiques

  • Durée du parcours de soins

  • Conséquences physiques de troubles psychiques

 2. Souffrances psychiques :

  • Stress aigu

  • Effroi initial

  • Sidération

  • Etat dissociatif

  • Stress post traumatique (Conduites d’évitement, cauchemars, hyper vigilance, reviviscences)

  • Troubles anxieux

  • Dimension dépressive (repli, isolement, idées suicidaires, perte de l’élan vital)

  • Désinvestissement de la vie professionnelle, conjugale, familiale

  • Phénomènes émotionnels liés à la souffrance

  • Suivi psychologique et traitements / Impossibilité d’accès aux traitements psychologiques

  • Incertitude sur le degré de récupération médical, familial et socio-professionnel

  • Prise de conscience personnelle et familiale du handicap

3. Problématique des souffrances morales

Les souffrances morales découlent notamment du contexte du traumatisme, de la difficulté à intégrer le parcours de soin dans le parcours de vie, de l’importance du handicap, des renoncements induits par le fait traumatique ou l’importance des séquelles. La parole de la victime sera retranscrite par l’expert même si la cotation n’intègre que ce qui relève de l’appréciation médicale.

ATTENTION : L’évaluation des souffrances par comparaison entre situations différentes doit être évitée. Exemple : la comparaison entre deux blessés médullaires est acceptable mais pas celle entre une victime violée et un traumatisé médullaire

III. Mission d’expertise

 Décrire les souffrances physiques ou psychiques endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation), du fait des atteintes subies ;

Évaluer les souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7 degrés

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IV. Méthode d’évaluation

La méthode résulte d’abord, comme pour tous les postes, d’un questionnement minutieux et de l’écoute attentive de la victime ainsi que de l’étude exhaustive des pièces de son dossier.

  • L’échelle à 7 degrés

L’utilisation de l’échelle doit toujours être précédée d’une description minutieuse des éléments retenus.

La cotation des souffrances endurées est normalement prévue sur une échelle de 0 à 7 allant de nul à très important.

Si la rédaction doit toujours tenir compte de la sensibilité de la victime qui conduira le plus souvent à ne pas faire figurer le qualificatif, les professionnels devront quant à eux avoir pleinement conscience des qualificatifs attachés à chaque degrés et demi-degrés :

0/7 : Nul 3/7 : Modéré 6/7 : Important 

0,5/7 : Nul à très léger 3,5/7 : Modéré à moyen 6,5/7 : Important à très important

1/7 : Très léger 4/7 : Moyen  7/7 : Très important 

1,5/7 : Très léger à léger 4,5/7 : Moyen à assez important

2/7 : Léger 5/7 : Assez important

2,5/7 : Léger à modéré 5,5/7 : Assez important à important

 

Le degré 7/7 concerne les situations dans lesquelles l’intensité ainsi que la durée des souffrances sont extrêmes. De façon exceptionnelle, il peut arriver que l’échelle à 7 degrés ne suffise pas à coter les souffrances, ceci devra être indiqué expressément lors de l’expertise. Certains ont proposé d’utiliser dans ce cas la cotation 8/7 ou « exceptionnel ».

  • Problématique actuelle :  

L’évaluation des souffrances endurées lors de l’expertise médicale soulève plusieurs difficultés :

1.     L’échelle utilisée, incompatible avec la cotation des souffrances exceptionnelles, par leur intensité (grand brulé, grand polytraumatisé, parcours de soins de très longue durée, consolidation très retardée…) ou par leur nature (enfant, victime d’attentat, esclavage sexuel…),

2.     Le cumul des évaluations par des experts différents dans des spécialités différentes,

3.     Le contour de ce poste : doit-il inclure le préjudice d’angoisse ? Le préjudice d’avilissement ?

4.     Les circonstances particulières ne relevant pas d’un préjudice spécifique,

5.     La distinction entre l’approche objective de la souffrance qui relève de l’appréciation médicale et l’approche subjective et morale qui, ne pouvant intégrer une cotation, est trop souvent omise ou mal prise en compte,

6.     Le coma de la victime.


  • Comment résoudre cette difficulté : la méthode ANADOC

1.     La problématique de l’échelle :

L’échelle doit être utilisée dans toutes ses possibilités c’est-à-dire en utilisant les demi-degrés, les qualificatifs devront être présents dans la discussion entre professionnels même s’ils ne sont pas forcément notés dans le rapport écrit.

Il conviendra de faire précéder toutes les cotations d’une description minutieuse des éléments justifiant le degré retenu, qui pourra être complétée par tout document et récit de la victime - communiqués et annexés au rapport. En cas d’insuffisance de l’échelle il conviendra d’expliciter clairement les éléments qui n’ont pu être cotés selon la méthode habituelle.

Des méthodes d’évaluation alternatives pourront également être utilisées en complément pour mieux cerner la souffrance : grille descriptive, échelle de type EVA permettant une autoévaluation globale indicative par la victime… En effet, il n’existe pas de méthode standardisée pour intégrer tous les élements actuels du poste souffrances endurées.

2.     La problématique du cumul des évaluations par spécialité :

Une discussion pourra intervenir pour définir un taux global qui ne saurait être limité au taux maximal dans l’une des spécialités.  Il est proposé de retenir la cotation la plus haute et de la majorer des degrés nécessaires pour arriver à la souffrance globale.  

Dans tous les cas, l’expert indiquera les cotations retenues dans les différents rapports. Il appartiendra, le cas échéant, aux régleurs et aux magistrats de faire la synthèse.

3.     La problématique des préjudices spécifiques : angoisse, avilissement…

Certains juristes ont proposé une approche situationnelle de ces préjudices spécifiques qui ne relève pas d’une approche médicale. Si cette question est soulevée en expertise la position des juristes devra être notée afin que le régleur ou le magistrat puisse prendre la bonne décision.

4.     La problématique des circonstances spécifiques :

Elles peuvent tenir à l’évènement traumatique lui-même (exemples : longue incarcération, …) ou à un évènement ou une situation extérieure à l’évènement traumatique (exemples : événement familial le jour des faits, …).

Une mention spéciale devra figurer dans le rapport en plus des mentions habituelles.  


5.     La problématique des souffrances morales :

L’expert devra indiquer, au-delà de la cotation retenue, tout élément permettant d’appréhender le ressenti de la souffrance propre à la victime.

Au-delà de la cotation, l’expert reproduira précisément ce qu’indique la victime concernant ses douleurs, dans ses doléances orales et écrites, étant précisé que toutes les souffrances ne sont pas susceptibles de constatations objectives.

6.     La problématique du coma :

L’expert devra évaluer les souffrances endurées y compris lorsque la victime est dans le coma ; cet état n’excluant aucun chef de préjudice.


Les autres documents ANADOC sur les souffrances endurées