Tierce personne permanente

23 septembre 2023



La tierce personne est le chef de préjudice le plus important pour la victime puisque la réparation doit lui garantir de retrouver, autant que faire se peut, des conditions d’existence équivalentes à celles qu’elle connaissait auparavant et d’entrevoir ainsi la possibilité d’un retour à domicile, qui doit être le principe.

Cette réparation concerne non seulement les actes de la vie courante, mais aussi les besoins de sécurité, la restauration de la dignité et la suppléance de la perte d’autonomie. Ce poste concerne toute victime atteinte d’un déficit fonctionnel permanent même faible. 

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I. Définition

❖   Rapport Dintilhac

« Ces dépenses sont liées à l’assistance permanente d’une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne. Elles visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie. Elles constituent des dépenses permanentes qui ne se confondent pas avec les frais temporaires que la victime peut être amenée à débourser durant la maladie traumatique, lesquels sont déjà susceptibles d’être indemnisés au titre du poste frais divers. »

❖   Cour de cassation 

- Cass. 2ème civ 28 février 2013 (pourvois n° 11-25.446 et 11-25.927) : « le poste de préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne indemnise la perte d’autonomie de la victime restante atteinte, à la suite du fait dommageable, d’un déficit fonctionnel permanent, la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne. »

- Cass. 1ère civ 13 juillet 2016 (n° 15-21.399) : « L’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne, qui doit être évaluée en fonction des besoins de la victime, ne peut être subordonnée à la production de justificatifs des dépenses effectives. »

- Cass. 2ème civ 4 mai 2017 (n° 16-16.885) : « Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives. »

- Cass. 2ème civ 23 mai 2019 (n° 18-16.651) : « La tierce personne apporte à la victime l’aide lui permettant de suppléer sa perte d’autonomie tout en restaurant sa dignité… L’indemnisation de ce poste de préjudice n’est pas limitée à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante. »

- Cass. 2ème civ 15 décembre 2022 (n°21-16.712) :  « L'arrêt relève, s'agissant des courses que, d'une part, leur fréquence peut être augmentée pour fractionner le port des charges lourdes et réduire le temps de présence dans les rayons, d'autre part, la prestation de livraison à domicile est désormais proposée par de très nombreux professionnels, y compris de l'alimentaire […] En statuant ainsi, alors que la victime d'un dommage n'a pas l'obligation de le limiter dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a violé le principe susvisé. »

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II. Contenu

L’évaluation du besoin en tierce personne répond aux problèmes d’autonomie et/ou de dépendance du blessé et ne se limite pas aux grands handicaps[1].

La Cour de cassation affirme que les besoins d’assistance en tierce personne ne sont pas limités aux seuls actes essentiels de la vie courante (à savoir se laver, se vêtir, se nourrir, faire ses besoins, se déplacer ou entretenir son foyer).

Les besoins en aide humaine qui doivent être remplis dépassent le simple droit à la santé et à la survie de la victime et recouvrent tous les droits individuels : dignité, liberté, sécurité, droit de circuler librement, droit à la vie privée et familiale.

Exemple d’appréciation selon prise en compte ou non du principe de dignité : 

Victime non énurésique ne pouvant pas se lever seule pour aller aux toilettes la nuit. 

Tierce personne évaluée du point de vue des seuls actes essentiels de la vie quotidienne : 1/4 d’heure le soir et un 1/4 d’heure le matin pour installation et retrait d’une couche.

Tierce personne évaluée en tenant compte du principe de dignité, présence de proximité toute la nuit 8 heures pour aide aux déplacements vers les toilettes à tout moment.

La tierce personne permanente doit donc permettre à la victime de reprendre sa place à la fois dans son cadre privé et dans la vie sociale et publique.

La tierce personne recouvre plusieurs notions : 

- Tierce personne personnelle à la victime (aide à la personne, aide-ménagère, aide aux déplacements, aide de stimulation, aide administrative, aide organisationnelle, contrôle et surveillance de sécurité…) ;

- Tierce personne aide à la parentalité (éducation et garde des enfants, entretien, vie scolaire, vie périscolaire, déplacements…) ;

- Tierce personne professionnelle ;

- Tierce personne par ricochet (aide à la personne pour remplacer le conjoint accidenté d’une personne dépendante dont le blessé était l’aidant avant l’accident).

Lors de l’évaluation du besoin en tierce personne, il devra être tenu compte des contraintes réglementaires qui s’imposent aux services d’aides à la personne, notamment l’impossibilité pour elles de se déplacer pour une prestation d’une durée inférieure à 30 min (cf annexe : « Méthodologie de l’estimation du besoin en tierce personne en pratique médico-légale » et Handi-Aide)

Distinction entre heures actives et heures passives : 

Il est peu cohérent de distinguer les heures actives des heures passives : non seulement les services prestataires d’aide à domicile appliquent un tarif horaire unique, mais au surplus il n’est pas envisageable de prévoir une tierce personne insuffisamment rémunérée (heures « passives ») pour surveiller le blessé et garantir sa sécurité.

Ces mots doivent être évités au profit d’autres expressions plus précises : spécialisé (aide-soignante, auxiliaire de vie sociale…) ; incitation, stimulation, sécurité, aide au loisir.

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III. Mission d’expertise

Indiquer le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire pour accomplir les actes, notamment élaborés, de la vie quotidienne, pour sécuriser la victime et assurer sa dignité et sa citoyenneté ;

 Dans l’affirmative, dire pour quels actes, et pendant quelle durée, l’aide d’une tierce personne a été ou est nécessaire ;

Évaluer le besoin d’assistance par une tierce personne, avant et après consolidation, en précisant en ce cas le nombre d’heures nécessaires, leur répartition sur 24h et pour quels actes cette assistance est nécessaire. 

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IV. Méthode d’évaluation

L’aide par tierce personne n’est pas systématiquement corrélée au taux de déficit fonctionnel. 

Par ailleurs, une approche exclusivement physiologique ne rendrait pas compte des problèmes de sécurité, de perte d’initiative et de dévalorisation qui peuvent se poser au quotidien.

L’expert doit procéder à une analyse détaillée des besoins en aide humaine de la victime par référence à une journée type, mais également une semaine type, avec une analyse circonstanciée de l’environnement du blessé, de son mode de vie (loisirs, vie sociale et familiale…), de son lieu de vie (habitat, éloignement des commerces, des lieux médicaux et sociaux…), de ses habitudes antérieures de vie et de tous les paramètres permettant d’individualiser la réparation le plus précisément possible.

L’expert devra préciser la nature de l’aide humaine nécessaire au blessé, la fréquence, la durée (quotidienne ou hebdomadaire). Dès lors que les besoins existent à la consolidation, ils ne peuvent être limités dans le temps. 

Les soins infirmiers effectués au stade de la consolidation et qui ne relèvent pas d’une compétence paramédicale (toilette, changes…) doivent être comptabilisés au titre de la tierce personne.

Dans certains cas, et afin de tendre à une appréciation la plus concrète et personnalisée possible des difficultés que rencontre la victime dans son environnement, il pourra être envisagé :

-       D’une part, l’intervention d’un ergothérapeute spécialisé pour une observation concrète de la victime dans diverses situations

-       D’autre part, une expertise « écologique » réalisée dans le lieu de vie du blessé (domicile personnel ou institutionnel) qui permette de mesurer l’incidence des déficits de la victime en situation réelle, et les répercussions sur sa qualité de vie, capacité et performance ne se juxtaposant pas.

L’expertise peut donc être pluridisciplinaire pour que tous les besoins d’aide soient appréhendés.

❖   Cas particuliers

Les besoins en tierce personne peuvent dépasser 24h/j :

            - Lorsqu’une seconde tierce personne est nécessaire pour faire les courses extérieures

            - Lorsque deux personnes sont nécessaires pour certains soins ou manipulations

Pour les traumatisés crâniens, l’entourage de la victime devra systématiquement être interrogé

Pour les enfants, les besoins en tierce personne doivent être évalués ainsi : 

-       Pour les atteintes bénignes ou moyennes en référence avec le degré d’autonomie d’un enfant du même âge ;

-       Pour les enfants plus atteints, uniquement en fonction des besoins générés par les lésions, sans comparaison possible avec un enfant du même âge[2].

Pour les personnes âgées, on ne tiendra pas compte d’un état postérieur inconnu : l’âge ne doit pas être un argument laissant présumer une perte d’autonomie qui n’existait pas au jour de l’accident, le vieillissement n’étant pas en soi générateur d’une déficience ou d’une dépendance. En particulier, le « vieillissement cérébral » ne constitue pas un état antérieur présumé. Il ne doit donc pas constituer un état antérieur ni un état postérieur susceptible de minorer l’évaluation de l’aide humaine s’il n’a pas été dûment démontré que celui-ci avait généré ou générerait une dépendance[3].

Articulation entre besoins d’aide humaine, aides techniques et aménagement du logement :

Il n’existe pas de hiérarchie des aides. Les besoins en aide humaine ne doivent pas être évalués après la mise en place des aides techniques et de l’aménagement du logement.

Les choix d’aides techniques et d’aménagement relèvent d’abord d’une demande et d’une acceptation par la victime : lorsqu’un matériel n’est pas demandé et/ou choisi par la victime, il ne peut lui être imposé.

Par ailleurs, confondre « qualité de vie » et « réduction de la dépendance » est une erreur : l’introduction d’un matériel ou l’aménagement du logement induit d’autres besoins d’aide humaine (l’aménagement d’un rail de transfert permet la réalisation des douches, mais la manipulation du rail et de la douche obligent à l’intervention d’une aide humaine).

❖   Outils d’évaluation

Plusieurs outils d’évaluation des besoins en aide humaine peuvent être proposés :

-  Pour les tâches domestiques : Etude INSEE 

-  Pour la qualité de vie : attestation à faire systématiquement remplir par les proches,

-  Pour les traumatisés crâniens : l’outil spécifique d’évaluation de la qualité de vie que constitue le QOLIBRI (Quality Of Life after traumatic Brain Injury) doit être consulté

-  Article in Gazette du Palais : « Méthodologie de l’estimation du besoin en tierce personne en pratique médico-légale »

-  L’outil HANDI-AIDE

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V. Annexes

  •  Annexe n° 1 - Étude INSEE, pour les tâches domestiques


[1] L’autonomie est la capacité de se gouverner soi-même, de prévoir et de choisir, la liberté de pouvoir agir, d’accepter, de refuser en fonction de son propre jugement. Il s’agit de la capacité à prendre des décisions ; il s’agit du vouloir faire.

L’indépendance est la capacité de satisfaire à ses besoins fondamentaux, d’effectuer seul les activités de la vie courante, qu’elles soient physiques, mentales, économiques ou sociales. Il s’agit de la capacité d’agir soi-même ; il s’agit du pouvoir faire.

Le blessé peut être autonome et dépendant, non autonome et dépendant, non autonome et indépendant.

[2] Voir : Sylvie VERNASSIÈRE, « L’évaluation du besoin en tierce personne de l’enfant », Gaz. Pal. 10 mars 2012, n° GP20120310011, p. 17

[3] Voir : Sylvie VERNASSIÈRE, « L’évaluation du besoin en tierce personne de la personne âgée », Gaz. Pal. 7 juin 2014, n° 182a1


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